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Relier ouverture des données et mobilité : Mettre toute notre énergie dans la coopération

Le regard des techniciens en Région Provence Alpes Côte d’Azur – Septembre 2024

Entretien avec Pauline Asselin de Williencourt

Pauline Asselin de Williencourt, animatrice territoriale des données d’OpenDataFrance est spécialiste de longue date des questions liées aux enjeux de l’ouverture des données ainsi que des défis technologiques et sociétaux afférents. Elle est éditrice des données au service Connaissance du territoire – Unité Plateforme Connaissance de territoire de la Région Provence Alpes Côte d’Azur.

Propos recueillis par Gabriela Martin

Face à des problématiques complexes pour mettre la donnée au service des politiques publiques, allant de l’ouverture des données à la gestion d’une infrastructure sécurisée jusqu’à la compréhension des besoins des territoires, les collectivités territoriales rencontrent des difficultés à formuler des réponses durables et adaptées à l’échelle appropriée.

Pour surmonter ces défis, la Région Provence Alpes Côte d’Azur met en avant des modèles de coopération stratégique dans le cadre d’une démarche de Plateforme connaissance du territoire. Les projets de la Plateforme sont des lieux de rencontre et de travail collaboratif sur des sujets à enjeux pour les territoires. Ils regroupent des acteurs des collectivités territoriales, services déconcentrés de l’État, établissements d’enseignement et de recherche ou encore des associations – agences d’urbanisme, …- qui ont un intérêt et des besoins communs autour des thématiques traitées. L’objectif est de mutualiser des savoir-faire et des connaissances, de mettre en synergies des communautés d’acteurs pour produire ensemble de façon plus efficace des travaux – méthodes de travail, données, nomenclatures, études, analyses, guides… – qui seront mis à la disposition de tous.

DataSud est l’infrastructure mutualisée de données ouvertes et géographiques de référence de la Région Provence Alpes Côte d’Azur. Elle est l’un des outils majeurs de la démarche de Plateforme connaissance du territoire régionale en proposant aux acteurs du territoire, une infrastructure gratuite pour héberger, publier et mettre à disposition leurs données. Elle propose une expertise sur la collecte et la gestion des données, des outils d’analyses et des services conçus en fonction des besoins des usagers du portail de données DataSud, qu’ils soient utilisateurs inscrits et/ou contributeurs à l’ouverture des données locales.

Quelles sont, selon vous, les problématiques clés en matière d’ouverture des données et de gouvernance des données que nous devrions prioriser aujourd’hui ?

Il est important de promouvoir l’Interopérabilité des infrastructures de données, sans coupe circuit selon que les portails de données soient conçus par des éditeurs privées ou suivant une approche open source.

Il faut aussi faciliter l’accès aux données de forte valeur, avant que celles-ci ne soient captées en exclusivité par des organismes privés, à fortiori non européens.

Je pense en particulier aux nombreuses contributions des automobilistes à l’application Waze qui sont régulièrement enrichies par les données des réseaux routiers départementaux et métropolitains. Je regrette que certaines collectivités préfèrent signer une convention avec la société appartenant à Google pour livrer leurs données de travaux d’aménagement de la voirie plutôt que de les rendre accessibles au plus grand nombre pour partager la valeur de ce bien commun. Tous les usagers de la route ne sont pas utilisateurs de Waze, donc en conventionnant on coupe une partie du grand public du bénéfice de ces données publiques, notamment par la création de solutions innovantes de mobilité douces permises à partir des informations publiques locales, parfois issues des capteurs installés dans l’espace urbain, ou provenant des indicateurs des limitations de circulation permanentes ou provisoires.

Cette démarche de partage et d’ouverture des données requiert de nouvelles postures, compétences et méthodes de la part des acteurs, agents et équipes impliqués.

Le souhait d’engager une démarche d’ouverture des données est réalisable quand se manifeste l’envie de développer des pratiques internes de conception du service public avec ses utilisateurs – usagers, publics, agents internes, partenaires – et que des dispositifs de management de la créativité et de la coopération se mettent en place.

Au-delà des données, on peut ainsi partager une culture de l’innovation publique pour la recherche de solutions aux problématiques à résoudre en s’appuyant sur les talents, les dynamiques de groupe et de réseau et les expériences des équipes, des directions, des publics et partenaires.

La démarche de la région Provence Alpes Côte d’Azur réunit divers acteurs : institutions publiques, chercheurs, entreprises, associations… Comment favoriser la complémentarité entre ces différents acteurs ?

Sur son portail DataSud.fr, la région Sud sort d’une logique de silos, au bénéfice d’une action collective qui va au-delà de la simple addition des initiatives individuelles. Grâce à ce portail, les institutions publiques, chercheurs, entreprises, associations partagent les ressources et leurs pleins potentiels pour favoriser l’émergence de solutions ambitieuses.

Quelle est, en particulier, la place des citoyens dans ces démarches de coopération ou d’action collective ?

Les citoyens peuvent contribuer à l’amélioration de la qualité des données, ou faire remonter les besoins et leur créativité lors d’évènement collaboratif du type Hackathon. Lors de ces évènements, il émerge un savant mélange de discernement, d’imagination, d’analyse et d’action.

Malgré les lois, règlements et directives établis en faveur de l’ouverture des données par défaut, des agents publics considèrent encore que pour améliorer l’efficacité de l’action publique, il ne faudrait ouvrir et partager que des fichiers dont l’administration maitrise totalement la qualité de la donnée, pensant que la consolidation d’une donnée doit nécessairement être corrélée à ce que les agents publics ont prévus d’effectuer à un instant donné. En gros les données n’auraient qu’une seule finalité !

Je suis d’avis que les données à forte valeur, ainsi que l’encourage la Commission Européenne soient déposées simplement dans des entrepôts de données fiables et structurées de telles façon qu’elles ne se perdent pas. Cela permettrait d’en évaluer leur qualité de façon collaborative et de consentir à leur complémentarité avec d’autres bases de données, pour réaliser d’autres actions que celles imaginées au moment de leur création.

Nous avons encore à démontrer, à quoi sert l’ouverture des données, notamment pour les agents eux-mêmes car ils peuvent bénéficier des effets positifs du retour d’usage de la part des ré-utilisateurs **des données. Car tant que le choix privilégié des administrations reste « l’autocontrôle de la qualité des données administratives » cela ne permet pas de contribuer efficacement à l’amélioration de la qualité de ces données. Il est évidemment chronophage pour les agents d’effectuer l’actualisation des fichiers et leur mise en qualité, alors ces taches peuvent être considérées comme non prioritaire.

Alors qu’il suffirait d’ouvrir des données aux citoyens éclairés et aux usagers des services publics qui prendront le temps de les améliorer en y contribuant.

Si on prend l’exemple des réseaux d’éclairage public, lorsque la liste des lampadaires d’une ville est publiée et intégrée dans certains outils, cela permet d’alimenter une carte comme celle du visualiseur des données d’OpenStreetMap sur la France OSM DATA, puis d’y ajouter des couches de données des arbres d’alignement ou des corridors écologiques. L’ouverture des données sur les lampadaires, demandée par les associations de protection de l’environnement, pourrait permettre de constater certaines erreurs de localisation des lampadaires. Lorsque l’on permet aux citoyens contributeur à OSM de valider la position du lampadaire, le jeu de données est mis en qualité en continu. Ces publications peuvent aussi apporter des indications utiles pour préserver ou restaurer un réseau écologique propice à la vie nocturne.

Je suis très sensible à la pollution lumineuse et suis attristée de voir des lampadaires illuminer certains lieux la nuit, comme des cours d’écoles ou des parcs et jardins où la biodiversité devrait être dans le noir où à minima la pénombre pour vivre.

Quelles conditions sont nécessaires pour garantir un impact collectif réel ?

Sur les questions des mobilités par exemple quelles pistes pourraient inverser la tendance pour largement ouvrir les données ?

Nous aimons raconter le Parcours des données de mobilités en Région Provence Alpes Côte d’Azur. Depuis 2019, la Direction des Trains Régionaux et de l’Intermodalité s’est engagée dans l’ouverture des données des lignes de réseaux Zou) ; rendus librement accessibles au téléchargement et par interface de programmation (web service).

Nous avons réalisé une petite vidéo qui montre toute l’expertise apportée tout au long du parcours de vie des données de mobilité, qui améliore leur qualité dans le but d’adresser la bonne information aux voyageurs.

Introduction de la vidéo : https://www.datasud.fr/portal/news/le-parcours-des-donnees-mobilites

Vous avez contribué à un projet avec le Cérema, l’association OpenDataFrance et certaines communes de Provence Alpes Côtes d’Azur sur la numérisation des Arrêtés de limitation de circulation pour le transport de marchandise en ville afin de rendre la réglementation routière plus facile d’accès.

  1. Quelles sont les tendances et signaux faibles que les acteurs de la route devraient surveiller dans les questions de logistique urbaine ?
    Les communes, Métropole, communautés de communes, d’agglomération ou urbaine, qui prennent les décisions portant sur la construction, l’entretien et les travaux des voies communales, ont la possibilité de contribuer à la création d’un laboratoire d’idées audacieuses. Si les villes et intercommunalités identifient bien les enjeux de la logistique urbaine, elles méconnaissent parfois les besoins et les attentes des acteurs de la logistique en matière de données. Et tandis qu’elles ont la charge de produire les Plans Locaux d’Urbanisme, le ZAN visant à « renaturaliser » les sols, et les diagnostics préalables, on constate parfois que le transport de marchandises n’est pas toujours pris en compte dans les PLU. Ou bien que la numérisation des arrêtés municipaux concernant les axes de circulation est souvent négligée.
  2. Cette problématique est-elle présente dans toutes les communes de votre région ?
    Quasiment toutes les communes situées sur les axes transfrontalier en lien avec les flux de méga camions, ainsi que les zones d’activité économiques qui nécessitent une logistique adéquate. En tant qu’acteurs clés du changement, ces communes ont besoin de disposer de données de qualité pour évaluer les impacts. En 2020, une convention entre la région Sud et le CEREMA a permis de réaliser une cartographie dynamique des restrictions de circulation des poids lourds à partir de la réglementation des livraisons des marchandises en ville. Et de produire une version ‘béta’ du schéma sur les arrêtés permanents de circulation en ville pour le transport de marchandises, en partenariat avec l’association OpenDataFrance.
  3. Les expérimentations que vous mentionnez semblent relativement récentes. Quels constats faites-vous et comment mobiliser davantage sur ce sujet ?
    Les villes d’Antibes, de Cassis, et de Martigues se sont portées volontaires pour ouvrir et partager sur Datasud leurs jeux de données portant sur les Arrêtés permanents de circulation de leur commune mais il reste encore une campagne de sensibilisation à mener pour embarquer d’autres territoires dans la cocréation d’une base de données homogène de ces arrêtés de transports de marchandises – permanents, voire temporaires -. Entre temps, le ministère des Transports a lancé la constitution d’une base de données nationale de la réglementation de circulation et de stationnement à l’échelle du territoire national. Ce projet baptisé DiaLog a notamment pour objectif, dans le cadre de l’article 122 de la loi Climat et Résilience, de mettre à disposition des services de calcul d’itinéraires et de guidage des transporteurs via leur GPS, afin qu’elles soient plus accessibles et mieux comprises des usagers de la route. La région Sud est territoire pilote, avec les métropoles d’Aix-Marseille-Provence et de Nice Cote d’Azur pour rassembler dans l’outil Dialog, aux côtés de la Fabrique de la Logistique les réglementations des poids lourds sur les routes. L’ambition est de pouvoir disposer d’un large panel de données standardisées, dotées de composantes géographiques complémentaires permettant de réaliser des analyses et des représentations cartographiques des Arrêtés grâce à l’ajout des informations sur l’emprise et la désignation des rues concernées par les restrictions de circulation dans une commune. Avec la numérisation des informations contenues dans les arrêtés des communes on relève que certaines informations peuvent être complexes et toutes ne sont pas destinées aux mêmes usages – services de la ville, habitants, transporteurs, livreurs, …-. Avec les retours des usagers on produit aussi un écosystème de donnée de qualités. En comparant des jeux de données standardisés, tant sur le plan spatial – entre communes par exemple – que temporel – entre deux arrêtés de dates différentes pour une même commune -, il devient possible de lever les ambiguïtés voire les incohérences sur les restrictions de circulation et de résoudre les difficultés de contrôle des transporteurs.

En quoi ces enjeux conjoncturels – pollution de l’air / Zones à Faible Emission, e-commerce, sécurisation des approvisionnements, circuits courts – sont-ils connectés aux données ?

En région, la connaissance des espaces d’activité économique s’avère indispensable pour les collectivités qui établissent les stratégies de développement économique.

Initié par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2018, le projet « SUD Foncier Eco  » repose sur un cadre partenarial associant l’État (DREAL), l’Établissement public foncier (EPF) Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’ensemble des Chambres de commerce et d’industrie, de Métiers et de l’Artisanat, l’agence de développement économique risingSUD, l’Agence régionale pour l’environnement et la biodiversité (ARBE) ainsi que les agences d’urbanisme. Ce projet a pour objectif de mutualiser les informations et données disponibles dans une application web cartographique, conçue à partir de briques logicielles open source.

L’outil permet de disposer rapidement, grâce aux inventaires des Zones d’Activités Économiques, d’éléments statistiques et cartographiques thématiques, notamment en 3D et d’analyses comparatives permettant de disposer d’une vision précise de l’occupation de ces zones, notamment pour les entreprises qui cherchent à s’implanter sur un territoire donné.

Ce résultat est issu de collecte de données multi producteurs provenant de chaque espace d’activités du territoire régional croisé avec les services aménagements et développement économique dans une coordination copilotée État/région.

Des ébauches des méthodologies reproductibles d’analyse et d’utilisation des données permettront de concilier sobriété foncière et développement économique des territoires. L’objectif à terme de cette application sera de maximiser l’interopérabilité avec les observatoires locaux et nationaux – Deveco, FranceFoncier+, Laboratoire d’innovation sur le foncier -.

Imaginons que l’application intègre dans la recherche spatiale les limitations administratives de circulations et les blocages de la circulation en temps réel, peut-on rêver !

Comment aller plus loin dans la création d’écosystèmes de données de qualité ? Un collectif pourrait-il être porteur de cette initiative ?

Si l’on regarde de plus près ce qui se passe en Allemagne, le Mobility Data Space, financé par le ministère fédéral du Numérique et des Transports (BMDV) permet de réunir une communauté de partage de données pour tous ceux qui cherchent à construire l’avenir de la mobilité. Cette communauté vise à faciliter la concurrence autour de concepts de mobilité innovants, écologiquement durables et conviviaux en donnant à tous les utilisateurs un accès égal et transparent aux données pertinentes. Au sein du Mobility Data Space, tous les utilisateurs bénéficient d’opportunités uniques pour bénéficier du potentiel de valeur ajoutée de leurs données.

En Allemagne, l’opendata repose sur des écosystèmes régionaux relatifs aux Länder qui disposent d’une forte culture locale et décentralisée.

Depuis le printemps 2023, la Région Provence Alpes Côte d’Azur, la Préfecture, l’Insee et l’IGN, partenaires de la Plateforme connaissance du territoire sont allés à la rencontre des élus, techniciens, scientifiques, usagers ou producteurs de données pour présenter et échanger autour du nouveau dispositif d’animation et de coordination régional autour des données et des études. La série des rendez-vous 2023 a permis d’établir la feuille de route de la Plateforme.

Dès septembre 2024, les rendez-vous de la Plateforme reprennent afin de poursuivre la concertation sur les besoins et orientations souhaitées en matière d’observation régionale, pour présenter certaines actions clés de la feuille de route 2024, et valoriser des sujets autour des thématiques d’Adressage, de Jumeau numérique, d’Hydraulique agricole, de l’eau, du transfrontalier et de l’occupation du sol,

Pour en savoir plus sur Les rendez-vous territoriaux de la Plateforme – Connaissance du territoire (maregionsud.fr)

Explorez les données ouvertes en Provence-Alpes-Côte d’Azur sur https://www.datasud.fr/portal/