Les Assises d’OpenDataFrance qui se sont tenues le 17 avril 2024 à Paris ont fait émerger une série d’attentes vis-à-vis de l’évolution de l’association (lire le premier billet de blog sur cet évènement). Ces Assises ont aussi permis de se projeter dans l’avenir de l’association et de faire émerger des lignes d’accord et de débat sur l’avenir d’OpenDataFrance.
Sur la suggestion des ambassadeurs de la démarche “Réinventons OpenDataFrance”, la coopérative Datactivist (qui accompagne l’association dans son travail de redéfinition) a conçu trois scenarios correspondants chacun à un tournant “radical” de l’association sur ses différentes composantes :
- sa cible et sa raison d’être : à qui s’adresse la structure ? Pourquoi existe-t-elle ?
- son offre de service : quelles sont les actions qui doivent être menées et proposées ?
- son organisation interne et sa gouvernance : qui doit gouverner la structure ? comment est-elle structurée ?
Les ateliers qui ont rythmé la journée ont tourné autour de trois scénarios fictifs préparés à l’avance qui ont été débattus et retravaillés par les participants.
Chaque scénario a été présenté par un délégué général fictif incarnant et défendant la structure imaginaire toute la journée. Ces scénarios ont ensuite été débattu dans un atelier sous la forme de café tournant (world café) où les participants devaient indiquer les éléments à enlever, améliorer, ajouter ou garder dans la plaquette de présentation de la structure fictive. Ils ont ensuite reformulé les cibles et la raison d’être de la structure ainsi que la présentation de son offre de service et son organisation interne et sa gouvernance.
Dans un deuxième temps, les participants ont envisagé les facteurs de succès ou d’échec des scénarios à l’horizon 2026 et ont conçu un planning de mise en œuvre spécifiant les acteurs à mobiliser et les actions à conduire.
OpenDataFrance 2.0 : une évolution en continuité avec l’association actuelle
Dans ce premier scénario, OpenDataFrance reste un acteur central du domaine de l’open data en proposant un réseau d’échange d’expériences et de connaissances, ainsi que des outils et des formations. L’association élargit son spectre d’action au-delà de l’open data pour aider ses membres à collecter, gérer, diffuser et valoriser les données. Avec une équipe de quatre personnes, l’association fonctionne comme un passeur de connaissances, un faiseur de communauté et un porte-voix des acteurs publics de l’open data. Son financement repose principalement sur les revenus générés par ses services, en particulier la formation et le développement d’outils, et les cotisations de ses adhérents.
Face à ce scénario, les participants ont souligné l’importance d’élargir le spectre d’action de l’association au-delà de l’open data en faisant d’OpenDataFrance l’association de l’ouverture, la circulation et la valorisation des données. Sa raison d’être doit être de faire communauté avant toute chose en structurant : en interne un réseau d’échange, de valorisation d’initiative et de partage d’expérience et, en externe, en se positionnant comme un moteur identifié et reconnu pour peser dans les dialogues. Les participants ont aussi suggéré un élargissement de la base des membres aux services de l’État, aux entreprises de service public, aux partenaires associatifs et académiques ainsi qu’au secteur privé dans une logique de cooptation par les membres. L’association devrait être structurée autour de quatre collèges : un pour les agents des collectivités territoriales, un pour les élus, un pour les représentants de l’État, un pour les autres acteurs. L’offre de service devrait d’abord être l’animation d’une communauté, la mise à disposition d’une boîte à outils et l’accompagnement à la mise en place de projets. Les participants ont suggéré la mise en place d’un label de conformité “open data” pouvant s’appliquer à des territoires, mais pourquoi pas aussi des outils ou des services.
Ce scénario n’est réalisable que s’il implique progressivement trois cercles :
- les personnes adhérentes qui devront être remobilisées sur des projets communs
- les personnes concernées, mais non mobilisées actuellement dans l’association, en particulier les services de l’État
- les personnes qui ne sont pas concernées par les obligations légales actuellement pour élargir au-delà.
Son succès repose sur le soutien financier de l’État et la valorisation du travail des autres acteurs de l’écosystème de l’open data.
Données en commun : un “acteur plateforme” pour faire émerger des projets d’intérêt général
Dans le deuxième scénario intitulé “Données en commun”, OpenDataFrance évolue vers une structure coopérative, la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) des acteurs de la donnée au service de l’intérêt général. Sa mission est de faciliter le partage et la valorisation des données d’intérêt général et de favoriser la création d’espaces sectoriels de partage de données comme le prévoit le Data Governance Act.
La SCIC propose à ses membres la participation à des groupes de travail thématiques, un accompagnement dans la réalisation de projets et l’accès à des ressources produites par la communauté. Avec une équipe composée d’un délégué général et de deux permanents, la SCIC anime les groupes de travail, par exemple sur l’accès aux données dans les Plans Climat Air Énergie Territoriaux (PCAET). La SCIC se finance grâce aux contributions de ses sociétaires et aux revenus générés par le montage et l’accompagnement de projets.
Les participants ont beaucoup débattu du modèle de la société coopérative qui a pu paraître complexe et éloigné du modèle actuel. Ils ont apprécié l’ouverture de la structure au privé comme au public, mais s’interrogent sur deux points : le ticket d’entrée qui doit rester bas pour les petites collectivités et la place des élus qui doit rester importante pour favoriser le portage politique des projets. Les groupes de travail n’ont pas suscité l’adhésion, mais le point crucial de l’offre de service repose sur le fait que la coopérative peut permettre de répondre entre membres différents à des appels à projets et aller chercher des financements. La gouvernance interroge les participants, en particulier le fait que les acteurs privés auraient le même poids que les acteurs publics dans la coopérative.
Finalement, les participants ont signalé que le succès de ce projet repose sur sa capacité à monter des projets sur des sujets très concrets pour travailler ensemble entre acteurs publics et privés. Données en communs serait alors un “acteur plateforme” pour faire émerger des projets d’intérêt général.
IADataFrance : un think tank pour démocratiser l’IA et la data
Dans ce troisième scénario, OpenDataFrance se transforme en IADataFrance, un think tank dédié à la démocratisation de la donnée et de l’intelligence artificielle (IA). L’association vise à sensibiliser et à acculturer dans les territoires aux enjeux de la donnée et de l’IA. Elle s’adresse aux entreprises, aux collectivités, aux citoyens ou aux étudiants. Son offre de services comprend le plaidoyer auprès des instances nationales et européennes, la fourniture de veille thématique et l’organisation d’événements professionnels ou grand public sur la donnée et l’IA à travers tout le territoire. IADataFrance se définit comme un agitateur de la donnée et de l’IA, cherchant à favoriser le débat et à diffuser la connaissance pour faciliter la compréhension de ces sujets.
Face à ce scénario, les participants ont demandé à rendre plus visible la notion d’intérêt général dans la mission de démocratisation de la donnée et de l’IA. Ils ont élargi l’offre de service en incluant l’accompagnement de cas d’usage de l’IA et la mise en débat de l’IA dans les territoires. L’équipe devrait, selon eux, inclure un formateur spécialisé sur le secteur public et un profil juridique qui manquaient dans la formulation du scénario. L’association devrait aussi inclure un collège d’experts pour débattre des questions d’éthique et de prospective posés par l’objet de l’association. Outre la qualité du recrutement, les participants ont pointé l’importance d’élargir l’écosystème actuel de l’association, notamment auprès des acteurs parapublics et de concevoir des cas d’usage vraiment réplicables. Pour lancer la dynamique, un état des lieux devrait être réalisé avec la mise en place de comités locaux qui identifient les thèmes de travail prioritaires.
Ces trois scenarii, amendés et complétés, représentent des pistes de développement très différentes pour l’association. Voit-on des options faire consensus parmi les participants de l’événement ? Pour le savoir, nous avons organisé un “débat mouvant”, un exercice participatif lors duquel les participants se tiennent debout et se déplacent pour exprimer la proposition qui recueille leur faveur. Concernant la raison d’être et la mission, le scénario OpenDataFrance emporte les faveurs des participants avec près des deux tiers des participants qui se sont déplacés vers ce scénario. Ce n’est pas nécessairement une surprise, ce scénario s’inscrivant dans la continuité de l’activité actuelle de l’association. Le scénario IADataFrance a rassemblé près d’un tiers des participants, attirés par l’actualité du sujet, sa mission de démocratisation de la donnée et de l’IA et aussi, parce que les usages des données étaient au centre du projet. Enfin, le scénario Données en Communs a suscité peu d’adhésion, principalement à cause du passage à une structure coopérative, qui a pu constituer une rupture trop forte vis-à-vis du modèle associatif actuel. Néanmoins, ce scénario a eu pour atout de faire émerger des cas d’usage de la data et de l’IA dans les territoires afin de les mutualiser, ce qui apparaissait comme une piste intéressante pour les participants, y compris celles et ceux qui n’ont pas rejoint ce scénario.
Le rapport d’étonnement des ambassadeurs
En conclusion, trois ambassadeurs (Jacques Priol, Dorie Bruyas et Charles Nepote) ont fait part de leurs constats et de leurs interrogations à l’issue de cette journée afin de prendre de la hauteur et faire émerger des questionnements transversaux.
Jacques Priol, fondateur de Civiteo, a ouvert le bal en faisant part de deux étonnements. Il constate, tout d’abord, que si la data et l’open data ont beaucoup changé, l’association OpenDataFrance n’a peut-être pas changé au même rythme. Il y avait donc un enjeu dans cette journée à sortir de plusieurs “entre-soi” pour créer une nouvelle dynamique. En tant qu’association de collectivités, elle peut entretenir un certain “entre-soi territorial” mais la présence de nombreux partenaires de collectivités, d’agents de l’État, d’acteurs parapublics de la data montre sa capacité d’ouverture. Son second étonnement porte sur le rapport à l’État, une question qui se pose d’autant plus pour un événement se tenant au ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires. La tenue de cet évènement dans ce ministère, plutôt que dans un ministère ou un secrétariat d’État dédié au numérique ou la transformation publique, peut être vu comme un signe que “les débats sur les données vont concerner prioritairement les usages et moins la data pour la data.” Il y voit dans la présence du ministre en personne et de nombreux agents de l’État le signe du développement d’une véritable politique de la data de l’État. Des divergences voire des oppositions de méthode pourraient émerger entre une vision stratégique nationale et un foisonnement d’initiatives territoriales. La tentation sera grande de tout harmoniser et de tout standardiser, au risque d’étouffer les initiatives locales et de freiner le développement d’usages qui répondent pourtant à des urgences. OpenDataFrance aura un rôle important à jouer pour aider à trouver un équilibre entre ces dynamiques.
Dorie Bruyas, directrice de Fréquence écoles et présidente de la Mednum, retient d’abord l’usage à plusieurs reprises, par les participants et dans les scenarii, du mot lobbying. L’association a-t-elle pour rôle de fluidifier les échanges entre les acteurs publics et privés sur les questions d’open data ? Se faisant, devient-elle une instance de régulation ou de négociation ? Dorie Bruyas interroge ainsi les limites du projet associatif, dans un secteur devenu de plus en plus “concurrentiel” avec une multitude d’acteurs et d’offres. Elle souligne aussi un questionnement parmi les acteurs sur les usages de l’open data, en particulier dans certains territoires où ils sont imperceptibles ou inexistants. Enfin, elle a interrogé la gouvernance de l’association, notamment la place de la future équipe salariée avec un conseil d’administration très présent et porté par des élus.
Charles Nepote, délégué général de l’association Open Food Facts, a insisté sur le sentiment de fierté dans l’assemblée que la France soit au sommet des classements de l’open data mondial et que le sujet de la data en France soit traité en profondeur. ll se réjouit aussi d’avoir entendu parler à de multiples reprises d’usages, en particulier en matière d’IA : “c’est l’héritage d’une longue tradition en France de s’intéresser beaucoup aux usages et pas seulement à la technologie.” La notion d’intérêt général est aussi revenue à de nombreuses reprises, mais il suggère que l’intérêt général n’est pas l’apanage des acteurs publics. Enfin, la notion d’acculturation aux données est revenue de manière récurrente, ce qui l’interroge “avec de nombreux professionnels, nombreux sont dans la salle, ça fait 15 ans que nous labourons les terres de l’open data. Après 15 ans, j’entends encore des acteurs nous dire : ”on manque encore d’acculturation sur l’open data, nous, dans nos organisations”. Est-ce qu’on a raté quelque chose ?” Charles Népote s’est aussi intéressé aux termes absents du débat. Il souligne que, malgré le lieu, les débats n’ont pas assez porté sur le rôle des données dans la transition écologique : “il y a des choses à faire, et peut-être qu’OpenDataFrance gagnerait à avoir un prisme particulier vis-à-vis de ce sujet-là.” Les débats ont, selon lui, éludé le rôle que peuvent jouer les citoyens dans la collecte des données comme le montrent pourtant des projets emblématiques comme Tela Botanica, Open Food Facts ou Panoramax. Enfin, il a regretté l’absence d’une partie du conseil d’administration dans un moment de réinvention de l’association.
La route est encore longue et OpenDataFrance devra y tracer son sillon. Prochaines étapes ? La publication prochaine d’une synthèse de la démarche “Réinventons OpenDataFrance” qui, tirant les conclusions de la consultation, proposera des évolutions de la cible et de la raison d’être de l’association, son offre de service, sa gouvernance et son organisation interne. Merci encore au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires pour son accueil de cet évènement et aux participants pour leurs contributions !