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La donnée au temps du Corona

La violente crise qui a frappé notre pays au printemps 2020 a brutalement mis les collectivités locales et les services de l’état dans une situation d’urgence : répondre aux défis sanitaires, économiques et sociétaux dans un monde confiné, comme à l’arrêt.
Les services dématérialisés, c’est à dire numériques, sont alors apparus comme efficaces, indispensables, mais pas toujours adaptés à l’ampleur de la situation. Nous avons pu mesurer combien les services publics ont encore, et c’est tant mieux, besoin de la présence physique des agents et du contact avec les usagers, comment l’éducation dépendait du contact humain et que la formation à distance ne s’improvisait pas, comment les organismes publics ou privés devaient reconsidérer le télétravail ; comment enfin la fracture numérique s’est faite d’autant plus pesante dans un monde qui a du jour au lendemain eu la tentation de basculer dans le « tout numérique ». Et surtout, à cette occasion, la donnée a fait parler d’elle !

Des données fiables pour conduire l’action publique

Car il en a été de même de l’accès à l’information. Toutes les branches de la fonction publique, d’état, territoriale ou hospitalière, ont dû récolter, analyser et anticiper le développement de la pandémie à partir de données fiables. Les enjeux ont été très nombreux : qualité de l’information (exacte et complète), disponibilité, fraîcheur, interopérabilité. Cette fiabilité est non seulement un gage d’efficacité pour l’action publique, elle est aussi une nécessité politique pour garantir la transparence attendue par les citoyens, les observateurs, le monde académique (notamment la recherche) et les acteurs économiques. Nous voyons combien certains pays souffrent de ce manque de transparence (Chine, Corée du Nord, Brésil). Face au risque de désinformation et de manipulation (fake-news), l’accès à des données incontestables est devenu une exigence essentielle. Dans ce registre, de grands acteurs sont apparus comme des références : au niveau international, le désormais bien connu John Hopkins University Center, au niveau national les données publiées sur OpenCovid-19, initialement par un collectif associatif puis repris la DINUM, à partir des données produites par différents organismes publics (Santé Publique France et les Agences Régionales de Santé). Nous voyons d’ailleurs les études sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine se décrédibiliser lamentablement non pas à cause du processus d’analyse scientifique mais en raison d’un manque de fiabilité sur les données issues des services hospitaliers des pays analysés.

« Le libre accès aux données relatives à l’épidémie, ce qu’on appelle l’open data, assure la confiance des citoyens dans les éléments qui leur sont communiqués, favorise les actions de prévention contre la propagation du virus et facilite la prise de décision.
La diffusion et l’exploitation de ces données ont été rendues possibles grâce à une collaboration étroite entre plusieurs administrations et la société civile.»
J. Salomon, directeur national de la santé, point presse coronavirus du 28 mars 2020

Des services adaptés aux temps de crise

Les données ont aussi permis de développer des services facilitant la gestion de la crise.
De très nombreuses infographies ont été réalisées par des centaines d’institutions, de l’OMS à l’Etat français, en passant par les universités, les analystes, les associations, les médias (Le Monde, Libération), les pays en développement.
Il s’agit non seulement d’observatoires sur le développement de la pandémie mais aussi d’outils prédictifs sur son évolution permettant de prendre les mesures nécessaires pour protéger le système de santé.
Ces outils ne concernent pas uniquement la phase de confinement mais dorénavant le pilotage de la relance économique, par exemple l’observatoire des Aides du Fond de Solidarité pour une analyse des aides allouées par domaine d’activités et par territoire.
Des études sur l’impact sociologique sont aussi basées sur les données disponibles : exode des citadins, proximité sociale, …
Des plateformes se sont spécialisées dans la mise à disposition des données, avec des recommandations structurantes : données brutes, qualifiées, normalisées, APIfiées (interface de programmation). OpenDataSoft a par exemple développé plusieurs interfaces de consultation des données liées à la crise.
La leçon importante que nous devons retirer de cette observation est que tout type d’acteurs peut mettre à contribution ses compétences et ses moyens pour développer des services ou applications utiles dès lors que les données sont ouvertes (accessibles librement) et structurées. La qualité des données est à nouveau un point essentiel : fiabilité, exhaustivité, finesse, mise à jour en temps réel. Nous constatons aussi des usages selon deux directions : d’une part un approfondissement de l’analyse des données par thématique (santé ou économie par exemple) et d’autre part, des croisements entre différents domaines : santé et tourisme par exemple. Dans les deux cas, l’interopérabilité des données est très importante : comment relier une base avec une autre ? comment s’assurer que l’on parle de la même entité, de la même unité, du même périmètre géographique ? Sur ce sujet, il y a encore beaucoup de progrès à faire, et les travaux menés par OpenDataFrance, en partenariat à l’Etat, devront être poursuivis (Socle Commun des Données Locales et schema.data.gouv.fr).

Des données extrêmement sensibles au regard de la vie privée et de la sécurité publique

Mais les données en question sont très souvent issues d’informations brutes à caractère personnel. Peu de données sont aussi sensibles que les données de santé. Il existe bien entendu de nombreux traitements pour anonymiser les données ou les agréger en indicateurs statistiques. Pour autant, les acteurs publics doivent garantir la confidentialité des données personnelles. Le débat sur l’application StopCovid s’est heurté au fond à cette question de sécurité donnant lieu à de multiples complications : souveraineté de la plateforme (vs GAFA), architecture technique, acceptabilité sociale (et taux de téléchargement conditionnant son efficacité). Nous constatons à cette occasion que l’urgence, la crainte ou l’impréparation à la situation ont pu mettre en danger des données à caractère privé. C’est le cas de certaines solutions de visioconférence peut soucieuses de la protection des données qui ont été utilisées puis bannies dans certains contextes sensibles comme les consultations médicales à distance. C’est aussi le cas des applications capturant de façon illégitime des données personnelles ou de la controverse sur les opérateurs « souverains » des données de santé Health Data hub : Les données sur la santé sont de plus en plus convoitées par les assureurs et les entreprises technologiques du monde entier.
Dans la perspective d’autres crises, il est donc très important pour les acteurs publics de bien analyser la situation actuelle afin de préparer soigneusement le partage et la protection des données sans précipitation.

Les territoires au cœur de la « résilience productive »

Ce que cette crise nous a aussi montré, c’est l’importance de solutions locales, agiles, diversifiées. Face à la difficulté de l’état à apporter des solutions immédiates et adaptées, face à la mondialisation de la production et de l’information, l’approche globale a trouvé ses limites en période de crise (ce qui a toujours été le cas). L’implication et la créativité des acteurs locaux ont permis d’imaginer des solutions rapides, adaptées au contexte local. Le think-tank Utopies a étudié la capacité des économies locales à résister à l’impact d’évènements exceptionnels sur la rupture des chaînes d’approvisionnement (médicaments, agroalimentaire, industrie). Dans le champ de la santé, on a vu des fabriques locales de masques ou de respirateurs en open source. Il en est de même pour les données : de nombreuses collectivités ont dû trouver des solutions pour répondre à des demandes aussi légitimes que connaitre les magasins ouverts (Issy-les-Moulineaux), les pharmacies (Ile-de-France), les producteurs locaux (Dunkerque), les services ouverts (Corse), SmartServices (Ile-de-France)… Dans de nombreux cas, les collectivités se sont appuyées sur les citoyens pour la coproduction de ces données, par exemple avec l’initiative d’OpenStreetMap (caresteouvert.fr). Au sein même des collectivités, les services ont eu des besoins très importants de données internes pour piloter leurs actions : remontées des données sanitaires, mais aussi effectifs des écoles, dimension des voies cyclables et des trottoirs, autorisation d’occupation de l’espace public, offres touristiques, données géographiques en tout genre. Les acteurs publics ont constaté à cette occasion l’importance de l’accès simplifié, structuré, systématique à l’ensemble des données qu’elles produisent ou manipulent. Les Administrateurs de Données (AGD), en collaboration avec les Délégués à la Protection des Données (DPD) et les cartographes ont été ainsi extrêmement sollicités pendant cette période sanitaire.
L’importance de l’accès aux données et aux services qui en découlent posent cependant à nouveau la question d’égalité d’accès aux services numériques. L’important travail d’éducation, de médiation et d’adaptation des services numériques doit être poursuivi dans le cadre du programme porté par l’état et les collectivités locales.

Les données, ouvertes ou pas, se sont en tout cas invitées au grand rendez-vous que nous a donné la pandémie. Soyons à la hauteur du défi qui nous a été lancé et préparons-nous en responsabilité aux prochaines crises que nous devrons affronter. Celle-ci a été la première de l’ère numérique, d’autres viendront -météorologique, environnementale, économique, sociales.

L’organisation territoriale du numérique, impliquant l’ensemble des acteurs locaux, est un enjeu capital d’efficacité de nos services publics autant que d’égalité d’accès à ces services. Le prochain renouvellement des élus des collectivités (2020 pour les communes et interco, 2021 pour les départements et régions) doit être l’occasion de repenser et de dynamiser les stratégies de partage et d’exploitation des données publiques pour le bien-être de tous et le développement des territoires.

Puisque la période nous y engage, après de longues années de confinement des données publiques avec les conséquences sociales et économiques que nous pouvons imaginer (restriction des échanges, horizon limité, inquiétudes, fausses informations, ralentissement de l’activité), il est temps de dé-confiner les données ! Amplifions  le mouvement de l’open data!

Laurence Comparat, Présidente d’OpenDataFrance